Couverture médiatique du terrorisme au Bénin : Les journalistes entre professionnalisme et débrouillardise sur le terrain de l’insécurité

Couverture médiatique du terrorisme au Bénin : Les journalistes entre professionnalisme et débrouillardise sur le terrain de l’insécurité

juin 15, 2023 0 Par Dorice Djeton

La menace terroriste au Bénin est devenue une réalité à travers les attaques des Individus Armés Non Identifiés dont la première véritablement médiatisée remonte en 2019 dans le parc de la Pendjari, au Nord-Ouest du Bénin. Un phénomène qui appelle à des actions hardies avec la contribution de toutes les forces vives dont les professionnels des médias pour informer les populations. Face à la sensibilité de la question, la presse s’efforce de jouer son rôle avec professionnalisme en dépit des écueils sur le terrain.

Par Dorice DJETON

30 mai 2022. Village de Soroko, un arrondissement de la commune de Banikoara faisant frontière avec le Burkina Faso, situé dans le département de l’Alibori au Nord du Bénin. Nous sommes à plus de 690 kilomètres de Cotonou. Nous avons décidé d’y séjourner pendant quelques jours pour mener une enquête sur le quotidien des femmes face aux agissements des Individus Armés non Identifiés. Première escale : le commissariat frontalier de police de Kèrèmou. Les injonctions étaient fermes, courtes et précises. « Madame la journaliste, Sachez où mettre vos pieds. Vous ne pouvez pas dormir dans les parages ». Faites votre travail et les soirs, retournez dans un hôtel dans une ville voisine ». Le ton était donné. Cahin-caha, nous avions pu collecter nos données. Mais au-delà de cet accueil peu chaleureux reçu au regard de la sensibilité thématique, un autre constat retient notre attention. Il s’agit de la réticence des personnes ressources approchées à se confier ouvertement. On pouvait lire dans leur attitude de la méfiance mêlée à la peur. Quant aux femmes rencontrées sous les hangars du marché à quelques encablures du commissariat, les appréhensions étaient palpables. À peine parvenaient-elles à dissimuler leur mal-être face à la difficulté à nommer le phénomène. Ce terrorisme qui affecte et rythme désormais leur quotidien à bien des égards.

Les journalistes entre professionnalisme et débrouillardise sur le terrain de l’insécurité

Des expériences diversement vécues…
Le contexte spécifique de la menace terroriste a déterminé la construction des récits journalistiques en fonction des réalités du terrain, du sujet exploré et de la localité ciblée. Si la journaliste freelance Flore Nobimé, en allant recueillir des informations dans l’exercice de sa profession a vécu une situation digne d’un film à rebondissement, d’autres ont eu la possibilité de faire une immersion dans le dispositif des forces de l’ordre sur le terrain de l’insécurité. « J’ai vécu une expérience assez particulière en février 2022. J’étais dans le nord-ouest avec un confrère néerlandais qui travaille sur African Parks (AP)…Malheureusement, ce qui avait plutôt bien commencé, a pris une tournure rocambolesque dont nous avons payé le prix, puisque nous avons été arrêtés », confie-la consœur. Pour le journaliste Ange Banouwin, l’incapacité d’aller sur le terrain n’a pas empêché son équipe de réaliser le travail souhaité. « Nous avons recueilli de l’information auprès de personnes ressources très aguerris sans avoir eu besoin de nous rendre au Nord-Bénin. L’objectif n’était pas de décrire l’ambiance qui prévaut dans les communautés affectées mais de recouper des données d’experts afin de comprendre des aspects clés», a-t-il-laissé entendre. Mieux, l’analyse des enquêtes récentes du média en ligne Banouto sur l’extrémisme violent et l’immersion des journalistes Osias Sounouvou, Fulbert Adjimèhossou du service public et bien d’autres professionnels des médias est révélatrice de ce que même si les conditions d’accès à l’information sur les actes de terrorisme ne sont pas reluisantes, la presse béninoise se réinvente, assure la couverture médiatique et informe les populations à travers des enquêtes, des analyses, des reportages et des entretiens bien fournis.

Quid du droit du citoyen à l’information face aux impératifs sécuritaires
Concilier les impératifs sécuritaires et le droit du citoyen à l’information est un véritable challenge qui semble opposer l’armée et les journalistes. Mais cette tâche ne devrait en aucun cas constituer une pierre d’achoppement. A cet effet, le commandant Honfoga, Ebenezer, Chef du Bureau Information et Relation Publique de l’Etat-major des Armées a rassuré les professionnels des médias de la nécessité pour les deux entités de collaborer étroitement : «Certes les impératifs sécuritaires nous contraignent à faire attention aux informations à partager avec le public afin d’éviter la panique générale. Mais nous restons ouverts à collaborer avec la presse qui doit aussi jouer son rôle avec le professionnalisme requis ». Selon l’UNESCO, les journalistes sont des médiateurs des conflits, consciemment ou non. Leur rôle dans le fait d’influencer positivement les conflits et les processus de démocratisation est de plus en plus reconnu. C’est dire que la contribution des médias ne peut être occultée dans la prévention et lutte contre l’extrémisme violent et ses dérivés.

Défis pour les professionnels des médias…
A l’occasion d’un mini colloque régional organisé dans le cadre de la journée internationale de la liberté de la presse, autour de la thématique « Les médias et le terrorisme en Afrique de l’Ouest et au Sahel », les experts médias présents ont reconnu qu’en dehors de quelques formations sporadiques, les hommes des médias ne sont pas encore suffisamment outillés au regard du caractère relativement récent de la question. << Au Bénin, la presse ne dispose pas d’une charte sur le traitement du l’information sécuritaire>>, reconnait l’ancien président de l’Union des Professionnels des Médias du Bénin (UPMB), Franck Kpotchémè, aujourd’hui conseiller à la Haute Autorité de l’Audiovisuel et de la Communication (HAAC). Selon lui, c’est une préoccupation sur laquelle l’UPMB doit se pencher sans délai. Mais avant, le Dr. François Awoudo, Expert-médias recommande aux journalistes de se référer au code de déontologie et d’éthique dans les médias. Ce bréviaire élaboré en 1999 est toujours d’actualité. Il souligne d’ailleurs les responsabilités qui incombent aux journalistes dans la mission d’information du public, et qui priment sur toute autre responsabilité, en particulier à l’égard de leurs employeurs et des pouvoirs publics. Par exemple, l’article 2 de ce code intitulé ‘’La responsabilité sociale’’, stipule que : « le journaliste publie uniquement les informations dont l’origine, la véracité et l’exactitude sont établies. Le moindre doute l’oblige à s’abstenir ou à émettre les réserves nécessaires dans les formes professionnelles requises. Le traitement des informations susceptibles de mettre en péril la société, requiert du journaliste, une grande rigueur professionnelle et, au besoin, une certaine circonspection ». Il revient à la presse béninoise de continuer à jouer sa partition avec professionnalisme.

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