Grossesses survenues sous contraception dans les couples : Tensions conjugales, résignation et avortements à la clé

Grossesses survenues sous contraception dans les couples : Tensions conjugales, résignation et avortements à la clé

mars 5, 2024 0 Par Dorice Djeton

L’adoption des méthodes de contraception censée permettre aux couples de planifier les naissances en fonction de leurs ressources peut s’avérer être un cauchemar dans certaines situations. Quand une grossesse survient en pleine contraception, non seulement les tensions naissent dans les foyers mais ce sont les enfants non désirés qui en font les frais. Au contact d’une réalité presque tabou en matière de santé sexuelle et reproductive dans une société encore patriarcale.

Dorice DJETON GOUDOU

« C’est une grossesse sous contraception qui a fragilisé mon foyer. Je ne voulais plus d’enfant. Les dépenses mensuelles me pesaient. J’ai donc mis ma femme sous implant. Malheureusement, trois années après, elle m’annonçait qu’elle attendait encore un bébé. Je l’ai renvoyé sans état d’âme. Ma réaction a été excessive. C’est après l’accouchement que j’ai reconsidéré les faits et nous essayons de recoller les morceaux », confie monsieur L. A. Installé derrière une machine et entouré de ses ouvriers, cet imprimeur résident à Fidjrossè, un quartier de Cotonou, se remémore cette douloureuse période de sa vie qu’il n’aurait jamais souhaité vivre. Le témoignage de ce quinquagénaire, montre à suffisance le drame que représente ce phénomène dont les causes sont multiples.

L’adoption d’une méthode de planification familiale
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Défaut de suivi, mauvais usage, changement intempestif de contraception dû aux effets secondaires, prise de certains médicaments qui affaiblissent l’effet des méthodes contraceptives. Voilà autant de raisons qui font survenir une grossesse en dépit de l’adoption d’une méthode de planification familiale. Une réalité qui déchire les foyers et affectent les enfants concernés. En effet, la survenue d’une grossesse pendant que la femme est sous contraception, fait partie des éléments qui divisent les foyers. Surtout lorsque le couple a déjà eu le nombre d’enfants voulu ou lorsque la situation financière du ménage ne permet plus de faire face à des charges supplémentaires. Souvent source de tensions conjugales, cette réalité loin d’être banale est très mal vécue par les partenaires qui consciemment ou inconsciemment sacrifient les bébés.

La notion de grossesse non prévue se présente plutôt comme une question complexe

Analysant la gestion des grossesses non désirées, Pierre Aguessy Koné explique dans son article publié dans Cairn.info que loin d’être figée, la notion de grossesse non prévue se présente plutôt comme une question complexe, fortement déterminée par le degré de légitimité de la relation, par un contexte social et économique spécifique et par un jeu de pouvoir entre différents protagonistes à savoir : partenaires, hommes et femmes pris individuellement, prestataires de soins qui interfèrent et peuvent parfois entrer en contradiction.

Incompréhension et tension

Les récits de femmes ayant contracté une grossesse sous contraception laissent entrevoir de fortes tensions conjugales. Accusée souvent à tort, la femme qui tombe enceinte alors qu’elle a adopté de commun accord avec son époux une méthode de planification familiale, se voit rejetée et blessée dans son amour propre. « Les hommes se ferment à toute possibilité de dialogue et refusent de soutenir leurs épouses. Les femmes abandonnées à leur sort, reviennent en larme et nous nous sentons littéralement impuissants », confie Abdielle Todangbé, sage-femme. Nous avons rencontré une de ses patientes, Maman Sèna. La trentaine révolue, elle témoigne : « Après deux (2) césariennes ayant abouti à un garçon et une fille, mon époux m’a amené voir une gynécologue qui nous a conseillé la prise de pilules. 4 ans sous contraception, puis je découvre un matin que j’attendais un bébé de 2 mois. C’était un cauchemar ». Cette réalité est un véritable coup dur pour les foyers qui ont du mal à l’accepter. « Je ne m’y attendais pas. Mon benjamin avait 5 ans. J’avais opté pour le stérilet et je me sentais à l’abri de toute grossesse. Mon époux était furieux en apprenant la nouvelle. Il venait de perdre son boulot et ne pouvait pas faire face à de nouvelles charges de maternité. J’ai dû tout supporter, sa colère, son mépris et les dépenses depuis les consultations prénatales à l’accouchement», se souvient Maman Cathérine, restauratrice à Bohicon.

L’avortement en toute discrétion…

Eliane Perrin, sociologue de la médecine explique que dans la vie des couples, un avortement constitue un moment souvent décisif. Durant la période la plus dure, celle qui précède l’intervention, les femmes doivent prendre énormément de décisions, et dans un temps très bref. Parmi les choix à faire, il y a celui d’en parler ou non au partenaire. Ainsi, certaines femmes font recours à l’avortement, sacrifiant le bébé en route et mettant leur vie en péril pour sauver leur foyer. « Il était hors de question qu’un bébé vienne anéantir l’harmonie. Je n’ai pas eu d’autre choix que d’avorter discrètement. Cette grossesse imprévue aurait brisé mon foyer et freiné les projets professionnels qu’on mettait en place », confie une gérante de papeterie ayant requis l’anonymat. Redoutant la colère excessive de son mari, cette quadragénaire déjà mère 4 enfants a fait le nécessaire sans en informer le mari. Maman Kant pour sa part, a fait l’option de l’avortement avec le consentement de son conjoint qui l’a menacé de divorce si elle s’entêtait à garder la grossesse non désirée. Une dure réalité qui ne dépend ni de la femme ni de l’homme encore moins des agents de santé. Le docteur Serge Kitihoun de l’Association Béninoise de la Planification Familiale souligne que les grossesses surviennent en dépit de l’adoption de méthodes contraceptive car aucune oeuvre humaine n’est parfaite. «Ce sont des choses qui arrivent. Il y a toujours ce petit taux d’échec à prendre en compte dans l’adoption de la contraception. Nous n’y pouvons rien». Il précise par ailleurs que pour une efficacité totale de la contraception, il est conseillé d’associer deux méthodes avec l’accompagnement des spécialistes. Quand le couple finit par se résigner ou décide de taire les querelles, ce sont les bébés qui en font les frais. Dans cette guéguerre, il n’y a souvent pas d’harmonie. La paix et la complicité sont souvent mises à mal et la femme en se culpabilisant communique au bébé ses déceptions, ses humeurs et ses angoisses. Des émotions négatives qui laissent des séquelles indélébiles sur les enfants. Souvent psychologiques et peu perceptibles, les conséquences peuvent être désastreuses. Le Psychologue Houénou Fortuné confie : «Un enfant non désiré est affecté psychologiquement et peut souffrir de manque d’amour et développer des vices plus tard. Malheureusement, c’est une réalité dont les parents ne tiennent pas compte dans leur réaction excessive quant à la survenue d’une grossesse non prévue». Le spécialiste en santé mentale, conseille d’accompagner les enfants qui sont dans le cas vers une guérison progressive en les entourant de soins d’amour. Il invite cependant les parents à faire preuve de tolérance et de retenue quel que soit la situation. Briser le tabou Les tabous autour de la contraception ne sont pas matière à aider les femmes à en parler librement ni avec les médecins traitants ni avec leurs conjoints. Le caractère encore tabou de la contraception et la réticence des hommes face à son adoption ne favorisent pas une bonne coopération entre partenaires, agents de santé et patientes bénéficiant de ces méthodes. Ce n’est toujours pas aisé de discuter de la sexualité sans gêne. Certaines dames en font tout un mystère. Ce qui ne facilite pas les échanges. Et quand elles ont des préoccupations liées aux effets indésirables, elles ne les soulèvent pas à temps », souligne Charlotte Ahotonnagnon animatrice communautaire pour la Planification Familiale, rencontrée à Toffo. « Cette réticence des certaines femmes à se rapprocher des spécialistes, complique le suivi et rend inefficace la méthode surtout quand la prise des pilules se fait de façon hasardeuse », renchérit-elle. L’un des axes d’interventions du Plan National de Développement Sanitaire (PNDS) du Bénin couvrant la période 2018-2022 est l’intensification des services de la Planification Familiale. Cela suppose l’implication des hommes. En effet, l’engagement des hommes dans l’adoption et le suivi en matière de planification familiale peut s’avérer très utile pour les femmes et bénéfique pour toute la famille. Dr Serge KITIHOUN, gynécologue et directeur des services médicaux de l’Agence Béninoise pour la Promotion de la Famille (ABPF) souligne la nécessité d’impliquer fortement les hommes dans le choix de la contraception mais aussi le suivi surtout quand il s’agit de la prise de pilules. «Nous devons développer des programmes inclusifs qui intègre les hommes dans tout le processus de l’adoption et du suivi de la planification Familiale. Cela soulagerait les femmes et permettra aux hommes de mieux comprendre comment cela fonctionne véritablement». Un besoin réel à prendre en compte par les autorités en charge de la santé pour le bonheur et l’équilibre de la famille.

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