Perte de contact des migrants avec leurs origines : le martyre des familles abandonnées dans le dénuement à Djougou
juillet 1, 2021Afin d’améliorer leurs conditions de vie et perspectives d’avenir, des hommes, partent en aventure dans les pays du Maghreb ou occidentaux, laissant femmes et enfants dans un dénuement à nulle autre pareille. Des familles entières abandonnées dans le chagrin, avec une éducation monoparentale qui non seulement hypothèque l’avenir des enfants mais surtout creuse davantage le fossé des inégalités existantes. Enquête dans les dédales de familles oubliées à Djougou.
Dorice DJETON GOUDOU
Gorobani, un quartier du premier arrondissement de la ville de Djougou, située au Nord Ouest du Bénin, aux portes du massif montagneux de l’Atacora. Nous sommes à environ 461 km de Cotonou, la capitale économique ce lundi 21 juin.
Une nouvelle semaine démarre et des citoyens, très matinaux vaquent déjà à leurs occupations. La douce brise du matin qui soufflait semble ne pas atteindre la concession de dame Aminétou. Il est 7h12mn quand nous l’avons rencontrée dans sa concession.
Vêtue d’un hidjab multicolore, le regard absent, l’air soucieux, la main au menton et entourée de ses enfants, elle s’est replongée une fois encore dans ses souvenirs douloureux et s’interroge sur son sort mais surtout sur celui de ses enfants : « Si mon garçon n’avait pas été contraint d’aller dans les zones périphériques chercher du travail, il serait en train de composer le Baccalauréat », soupire-t-elle.
Abandonnée par son mari, parti en aventure sans signe de vie depuis bientôt 10 ans, cette quadragénaire s’occupe de ses progénitures sans une quelconque aide si ce n’est celle de sa mère affaiblie par le poids de l’âge.
« Une dizaine d’années sans nouvelles, sans ressources, sans soutien. J’ai perdu la joie de vivre depuis le départ de mon mari et l’espoir s’amenuise au fil des années. L’attente est longue et notre quotidien laisse à désirer », confie-t-elle les yeux larmoyants.
L’histoire déchirante de cette dame n’est qu’une, parmi tant d’autres. De nombreuses femmes la vivent dans le silence et le dénuement. Mieux, dans cette pratique de familles abandonnées à la recherche d’un bonheur aléatoire, ce sont aussi des enfants qui payent un lourd tribut.
L’avenir des enfants hypothéqué…
Monoparentalité, déscolarisation, mariage et grossesse précoce, vie de débauche, constituent les maux qui alimentent le quotidien des familles abandonnées par les migrants. Ces derniers, partis en aventure, laissent derrière eux un chaos indescriptible.
Forcée de vivre dans une famille devenue monoparentale alors qu’elle n’est ni divorcée ni veuve, Dame Oudath dont le mari est parti depuis 12 ans, essaie de s’en sortir vaille que vaille avec des ressources que rapportent ses deux grands enfants. « Ma fille ainée n’a pas eu 14 ans avant d’être déscolarisée et donnée en mariage alors qu’elle rêvait de devenir infirmière tandis que mon fils a dû lui aussi abandonner les classes pour aménager un espace de lavage auto qui est à peine rentable », relate-t-elle. Alimathou, quant à elle, s’est réveillée un matin et a découvert que son mari n’était plus là.
« Alors que j’étais enceinte de 3 mois, mon époux a voyagé. Ce n’est qu’après 9 mois, que j’ai su par le biais d’un migrant revenu qu’en quête de richesse, il était en Algérie. Depuis 6 ans, plus aucune nouvelle », narre-elle. Doigtant le benjamin, elle se mit à couler des larmes : « Mon dernier garçon ne connait son père si ce n’est qu’en photo. Il le réclame tous les jours et je ne sais souvent quoi lui répondre. Au début, je nourrissais l’espoir de le voir débarquer un matin les bras chargés de cadeaux pour ses enfants et des ressources pour nous sortir de cette indigence. Mais depuis peu, je me suis résignée », a-t-elle poursuivi.
Un phénomène porteur d’inégalités…
La plupart du temps, le départ de l’homme montre que la séparation induit une perte considérable de revenus pour les femmes qui connaissent alors de fortes difficultés économiques. Toutes les charges et besoins des enfants reposent désormais sur elles alors qu’elles n’avaient ni travail ni Activité Génératrice de Revenus.
Ce retournement dans la précarité d’une grande partie des mères qui se muent dans leur chagrin aggrave leur quotidien. Karen Ganyé épouse Gbédji, Docteur en sociologie et anthropologie de développement, analyse ce phénomène comme un facteur qui exacerbe les difficultés des femmes et les rend plus vulnérables. « Lorsque les hommes partent, les inégalités se créent car nous sommes dans une société patriarcale qui accorde droit et prémices à l’homme qui est considéré comme le plus fort donc capable d’aller en aventure à la quête de l’argent. La femme portant toujours les stéréotypes du sexe faible est vue comme errante.
Malheureusement, cette inégalité vient peser encore plus, car après le départ et l’absence de l’homme, le temps de se retrouver dans sa conquête du néant, le poids et les charges retombent sur la femme qui est vue en ce moment comme garante du vide laissé », explique l’experte.
Une pratique banalisée…
Dans cette ville du nord du Bénin, l’abandon de femmes et enfants par des hommes qui partent en aventure n’est pas un fait isolé. Il est aussi récurrent que le phénomène de la migration qui est très ancré dans les habitudes.
En plus de la Direction du Développement de l’Emploi et de la Mobilité, les autorités communales ont dû faire appel à l’Organisation Internationale pour les Migrations (OIM) qui y a installé l’une de ses antennes au sein de la mairie de Djougou. A en croire Afouda Vincent Agué, co-auteur de Voix des migrants béninois, un livre financé et édité par Friedrich Ebert Stiftung (FES), Djougou est une plaque tournante de la migration, principalement clandestine et orientée vers deux régions notamment, les pays du Maghreb (la Libye, l’Algérie) et ensuite les pays occidentaux (l’Allemagne, l’Italie).
« Le phénomène est en fait historique et donc enraciné dans les habitudes. Ce sont des jeunes qui quittent la ville pour aller chercher mieux ailleurs. La plupart du temps, ce sont des déscolarisés de niveau du premier cycle de collège à partir de la vingtaine et trentaine qui tentent d’aller en Lybie, en Algérie pour travailler sur des chantiers », explique-t-il.
Le CICR pour le rétablissement des liens familiaux
Selon Ahmed, un ancien migrant revenu de la Lybie, le nombre de leurs frères et amis qui sont partis de Djougou sans donner de leurs nouvelles alors qu’ils avaient déjà femmes et enfants est important. « Vivent-ils encore ? Sont-ils en prison ? Se sont-ils remariés ?», s’interroge-t-il.
Dans un article publié sur le site reliefweb.int, le Comité International de la Croix-Rouge a indiqué à l’occasion de la Journée internationale des migrants que : « des familles de migrants peuvent se retrouver dans des situations de très grande vulnérabilité, en particulier lorsqu’elles sont sans nouvelles de leurs proches pendant une période prolongée ».
C’est ce qui justifie les actions du CICR qui s’efforce de rétablir le contact entre les migrants et leur famille, en menant des activités de recherches, en transmettant des messages Croix-Rouge, en facilitant des appels téléphoniques ou encore par d’autres moyens tels que son site Web voué au rétablissement des liens familiaux. Mais que faire, lorsque ces familles se muent dans un silence total sans aucune sollicitation formelle par crainte de représailles ?
Un soutien psychosocial s’impose…
Dans un contexte d’immigration irrégulière, les parents dans leur mal-être ne savent souvent à quel saint se vouer. Sachant que leur fils ou époux a voyagé dans la clandestinité totale et sous le regard inquisiteur de leur entourage, ils optent pour le renoncement. Et pourtant, ils ont besoin d’appui et d’assistance de toutes sortes pour la satisfaction des besoins essentiels, physiques et psychiques.
Monsieur Fortuné Houénon, psychologue clinicien très imprégné du programme de Rétablissement des Liens Familiaux, explique que ces familles notamment les femmes ont besoin d’un appui psychologique très important pour extérioriser leur souffrance. « Le fait de perdre le contact avec un être cher sans retour, a un poids dans notre culture Béninoise. Ne pas savoir si la personne vit ou pas, si elle reviendra ou pas est déjà difficile à supporter. Cette incertitude est souvent source d’angoisse, de stress émotionnel sans évoquer les autres besoins», précise –t-il. Mais pour l’heure, les familles concernées ne demandent qu’à avoir des ressources pouvant leur permettre de remonter la pente.