Guerre en Ukraine : de la désinformation russe sur la menace biologique

Guerre en Ukraine : de la désinformation russe sur la menace biologique

mars 12, 2022 0 Par Le pouce

La Chine présentée comme acteur neutre au sujet de la guerre en Ukraine ne serait pas un. Depuis le début de l’invasion Pékin a clairement pris parti en faveur de Moscou, en relayant activement la désinformation russe rapporte Rfi.

Les propos tenus en conférence de presse ce mardi 8 mars par Zhao Lijian, le porte-parole du ministère des Affaires étrangères chinois, en disent long sur le positionnement de Pékin. Il a repris à son compte les accusations proférées par Moscou cinq jours plus tôt sur une prétendue menace biologique.

« Récemment, les laboratoires biologiques étasuniens en Ukraine ont attiré l’attention. Selon plusieurs rapports, des virus dangereux sont stockés dans ces installations. Au cours de son opération militaire, la Russie a conclu que les États-Unis utilisent ces laboratoires à des fins militaires. Selon les données américaines, il y a 26 laboratoires en Ukraine. Au total, les États-Unis disposent de 336 laboratoires dans 30 pays différents sous son contrôle. Ils ont aussi conduit plusieurs programmes militaires biologiques à Fort Detrick. Quelles sont les intentions des États-Unis ? Que font-ils précisément dans ces laboratoires ? La communauté internationale s’interroge. Nous appelons une nouvelle fois les États-Unis à faire la lumière sur leurs activités biologiques militaires sur leur sol et à l’étranger, et à accepter des vérifications multilatérales. » Traduction des propos de Zhao Lijian.

Comme nous en avons déjà parlé ici, la diplomatie russe reproche aux États-Unis de développer des armes biologiques dans des laboratoires en Ukraine, sans apporter jusqu’ici la moindre preuve. Ces allégations ont été largement réfutées, mais le diplomate chinois enfonce le clou lorsqu’il cite des « laboratoires américains en Ukraine », alors même que le ministre russe, Sergueï Lavrov, a depuis, corrigé son propos.

En déplacement en Turquie le jeudi 10 mars, il a évoqué des « laboratoires biologiques créés avec l’argent des États-Unis ». Une nuance d’une importance capitale. Sergueï Lavrov parle d’activités biologiques menées dans le plus grand secret « tout au long du périmètre de la Russie et de la Chine ». Le conseil de sécurité de l’ONU se réunit ce vendredi 11 mars après-midi à ce sujet, à la demande de Moscou. Les deux puissances sont manifestement engagées dans une offensive informationnelle conjointe. 

Une amplification par les médias officiels

L’ensemble de la presse d’État chinoise s’est empressée de relayer et d’amplifier cette fausse information. La CGTNRadio Chine Internationale ou le Global Times, accusent les États-Unis de mener des activités bio-militaires sur le sol ukrainien et dans le reste du monde. Il n’en fallait pas plus pour doper cette théorie complotiste dans les sphères conspirationnistes du monde entier, et sur les réseaux sociaux. Exemple en France avec le rappeur Booba qui a partagé les propos de Zhao Lijian sur son compte Instagram suivi par plus de 978 000 personnes.

De son côté, le Global Times va même jusqu’à faire le lien entre ces prétendus laboratoires américains, et la pandémie de coronavirus, en reprenant un article du média russe Sputniknews. Ce qui sert à Moscou pour justifier l’invasion de l’Ukraine est ici utilisé par Pékin pour se dédouaner de toute responsabilité dans l’émergence du Covid-19. 

La référence à Fort Detrick par le porte-parole chinois Zhao Lijiang ne date pas d’hier. Dès juillet 2020, la propagande chinoise s’emploie à rejeter sur les États-Unis la responsabilité de l’émergence du coronavirus. La théorie de Fort Detrick servie au public chinois a eu pour objectif de détourner l’attention de la Chine et de ses laboratoires de haute sécurité. 

Que disent les États-Unis ?

Les États-Unis dénoncent les mensonges répandus par Moscou et Pékin. La sous-secrétaire d’État aux Affaires politiques, Victoria Nuland, a affirmé devant le Sénat que l’Ukraine disposait effectivement « d’installations de recherche biologique ». Elle a également fait état de son inquiétude de voir des matériaux sensibles tomber aux mains des Russes. 

Mais aussitôt sur les réseaux sociaux, ces propos ont été déformés et présentés à tort comme un aveu de culpabilité. En fait, n’importe quel laboratoire de recherche biologique abrite forcément des matériaux sensibles. Au regard de ce qui se passe autour de certaines centrales nucléaires en Ukraine, on peut comprendre que les laboratoires soient aussi sujets de préoccupations, sans en conclure forcément qu’ils renferment des armes biologiques. Or le scénario complotiste exclue d’emblée le fait qu’un laboratoire puisse servir la recherche médicale. 

Rien de secret

En réalité, ce que les diplomates russes et chinois présentent comme des opérations secrètes est tout à fait public et accessible sur le site internet du Département d’État américain, il s’agit d’un accord de coopération conclu en 2005 entre le ministère américain de la Défense et le ministère ukrainien de la Santé, visant à contrer les risques de prolifération de matériel pathogène sensible « Cooperation in the Area of Prevention of Proliferation of Technology, Pathogens and Expertise ». 

D’autres documents sont mis en avant par les médias d’État russes et chinois, présentés comme des pièces à conviction que les autorités américaines auraient tenté de faire disparaître. Facilement accessibles par les recherches en sources ouvertes, ils ne viennent pas étayer les accusations de fabrication d’armes. La propagande russe et chinoise en fait une interprétation abusive. Ce sont de simples rapports techniques illustrant une coopération officielle entre les ministères américains et ukrainiens.  

Les contradictions de la diplomatie chinoise

Le fait que la Chine relaye aujourd’hui ces infox russes, met à mal la revendication d’impartialité chinoise. Pékin fait aujourd’hui le grand écart. D’un côté, son ministre des Affaires étrangères revendique « une attitude objective et impartiale […] basée sur la réalité des faits ». Et de l’autre, son porte-parole répand allègrement la désinformation russe. 

Cette manœuvre s’inscrit dans un narratif qui présente l’Otan comme seule responsable de la guerre. Si selon son discours officiel la Chine prône le respect de l’intégrité territoriale des pays, elle accuse l’Otan d’avoir « mené la Russie et l’Ukraine à un point de rupture ». Finalement, ce récit vise à faire oublier que c’est aujourd’hui l’armée russe qui bombarde l’Ukraine.

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