Niger : « Si le contingent de la Cedeao n’a pas le soutien occidental, l’intervention militaire n’ira pas loin » affirme le général Clément-Bollée

Niger : « Si le contingent de la Cedeao n’a pas le soutien occidental, l’intervention militaire n’ira pas loin » affirme le général Clément-Bollée

août 15, 2023 0 Par Le pouce

Les responsables de la Cedeao ont évoqué le déploiement « d’une force d’attente » au terme de leur sommet du jeudi 10 août. Approché par nos confrères de la dépêche, Bruno Clément-Bollée, général à la retraite et expert de la région Afrique partage ce qu’il pense de la force de Cedeao, sa composition, ses atouts, ses insuffisances.

Quelles forces possède actuellement la Cedeao ?

Bruno Clément-Bollée : « D’abord, il faudrait parler de l’état de la cohésion au sein de la Cedeao. On note des dissensions importantes entre membres de l’organisation. Le Mali et le Burkina Faso, actuellement sous régime de sanctions de la Communauté, ont d’ores et déjà annoncé que si l’intervention contre le Niger était mise en œuvre, ils participeraient à sa défense et quitteraient la Cedeao. De son côté, la Guinée est actuellement, elle aussi, en régime transitoire après un coup d’État et ne devrait pas intervenir, quant au Togo, il est revenu à une position mesurée et s’est même lancé dans une médiation sans prévenir ses partenaires ce que certains n’ont pas apprécié.

Il y a quand même les trois pays les plus solides de la Communauté et qui ont annoncé leur volonté de mettre des forces à la disposition de la Cedeao. Il s’agit du Nigéria, du Sénégal et de la Côte d’Ivoire. Avec environ 150 000 hommes, le Nigéria, possède une des armées les plus importantes du continent. Son outil de défense est complet, avec notamment une armée de terre numériquement supérieure à son homologue française. Concernant l’équipement des forces armées nigérianes, il est ancien, datant de l’ère soviétique, mais il est conséquent, robuste et correspond aux standards qualitatifs des autres armées de la région. Il faut noter des moyens aériens non négligeables, avec avions de chasse et de transport ainsi qu’hélicoptères eux aussi un peu fatigués.

Du côté du Sénégal et de la Côte d’Ivoire, les armées sont numériquement moins importantes mais pas moins solides, pouvant fournir des détachements tout à fait crédibles. Les forces nigérianes et sénégalaises ont une vraie expérience opérationnelle, étant toutes les deux régulièrement engagées dans des opérations internationales de maintien de la paix. À noter que le Bénin a lui aussi annoncé une participation militaire à la force d’intervention de la Cedeao. »

Est-ce que seules les forces en possession de la Cedeao suffisent pour l’intervention militaire ou aura-t-elle besoin d’un soutien extérieur ?

Une intervention militaire de ce type est une opération complexe. Il faut planifier, préparer les forces, les équiper, les projeter sur le théâtre des opérations après avoir sécurisé les sites de posée ou de largage, il faut également les soutenir, les ravitailler… bref, cela demande des moyens conséquents. Surtout si l’urgence est requise, ce qui est le cas. Cela signifie que la Cedeao aura besoin de certaines capacités de la part de ses potentiels alliés si elle veut s’engager rapidement et en sécurité. Les forces occidentales actuellement présentes, essentiellement américaines et françaises, peuvent lui amener ces capacités qui lui font défaut. Il s’agit de renseignement, de projection des forces, de soutien logistique, de ravitaillement.

Attention quand même, il faut noter que la Cedeao privilégie la voie diplomatique, mais par les décisions qu’elle vient de prendre, elle tient aussi à montrer que l’option de coercition est toujours sur la table et qu’elle est déterminée à l’utiliser si la diplomatie échoue. Dans ce cas, avec ses propres capacités, la Cedeao n’a pas les moyens d’une projection rapide de ses forces et devra donc requérir l’aide occidentale. Il va de soi que si ce cas se présente, le soutien occidental en question devra être discret, sans visibilité ni affichage. »

Qu’en est-il des forces putschistes et de leurs alliés ?

« Concernant le Mali et le Burkina Faso, il faut se rappeler que les pouvoirs en place sont très fragiles. Les deux pays ne sont pas tenus et leurs forces armées ne contrôlent pas la moitié de leur territoire, le reste étant aux mains des mouvements terroristes religieux. Ne faisant même pas la loi chez eux, comment peut-on imaginer que ces pays puissent aider concrètement leur voisin face à l’intervention de la Cedeao? En ce moment même, Mali et Burkina Faso se font sévèrement et régulièrement étriller pas les islamistes et ce ne sont pas les mercenaires de Wagner qui évoluent aujourd’hui au Mali qui pourront changer la donne. La délégation officielle envoyée mardi à Niamey ne relève que de la gesticulation politico-médiatique où seule l’image projetée compte.

Quant à la junte nigérienne, il semble qu’elle soit elle aussi très fragile, avec des rumeurs évoquant des dissensions internes et même des risques d’implosion. Il est un fait que le général Tiani ne faisait pas l’unanimité au sein des forces armées nigériennes. Tout cela signifie que face aux troupes de la Cedeao, la résistance ne devrait pas être conséquente. Mais comment réagira la rue nigérienne ? En revanche les conséquences d’une intervention seront très lourdes pour beaucoup. Pour le Niger d’abord, devenu zone de combat, pour les pays de la Cedeao ensuite qui auront fourni des contingents, avec risques de troubles sociaux organisés par les mouvements d’opposition et la propagande russe, pour la Cedeao encore qui risque d’imploser, pour les occidentaux et particulièrement la France enfin, qui récolteront dans l’affaire l’image du porteur de guerre. Tout cela est évidemment étudié et soupesé par les potentiels acteurs de cette force en préparation. »

Propos recueillis par Maureen Fournier

Source: ladepeche.fr

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