Santé numérique et Intelligence Artificielle au Bénin : La protection des données à caractère personnel, une grande inquiétude

Santé numérique et Intelligence Artificielle au Bénin : La protection des données à caractère personnel, une grande inquiétude

août 28, 2023 0 Par Dorice Djeton

Les soins de santé entrent petit à petit dans une nouvelle révolution avec de nombreuses possibilités quant aux technologies médicales émergentes qui intègrent l’utilisation des systèmes d’Intelligence Artificielle (IA). Bien qu’offrant de larges avantages en matière de diagnostics et de traitement, ces technologies émergentes suscitent des interrogations sur la manipulation et la protection des données à caractère personnel.

Dorice DJETON

L’intelligence artificielle est à l’origine d’une révolution dans le domaine médical et des soins de santé. Elle est considérée comme un outil innovant pour la planification des services de santé mentale ainsi que pour le recensement et le suivi des problèmes de santé chez les individus et les populations. Pour Docteur Wenceslas Mahoussi, Enseignant-Chercheur en Information et Communication, Spécialiste des pratiques info-numériques, «L’intelligence artificielle dans le cadre prédictif en utilisant les données dans le secteur de la santé notamment pour faire des prévisions ou des estimations en matière de politique sanitaire ou de santé est importante puisqu’on peut savoir la prévalence de telle ou telle maladie…ça permet également de prévoir des thérapies appropriés». Les outils assistés par intelligence artificielle peuvent utiliser des données numérisées sur les soins de santé disponibles sous différents formats afin d’automatiser les tâches complexes.

En effet, les innovations technologiques liées à la santé soulèvent de plus en plus d’inquiétudes et de questionnements. L’avènement de l’intelligence artificielle dans le champ de la santé n’en fait pas exception même s’il offre aux patients l’accès à d’autres formes de traitement dont les avantages sont indéniables. Cependant, ces usages multiples et croissants, alliés à des masses de données inédites, soulèvent de nombreuses questions. La santé numérique selon l’OMS est une notion vaste qui englobe, entre autres, la santé électronique, la santé mobile, la télésanté et les données sanitaires. Elle offre des solutions susceptibles de renforcer les systèmes de santé, comme la prestation de services de santé directement à domicile et dans les communautés desservies, l’aide à la cartographie des flambées de maladies et l’intégration d’outils numériques, d’utilisation des systèmes d’Intelligence Artificielle. Ces solutions permettent d’accroître la réactivité et la productivité des soins de santé. Même si le Bénin est encore en chantier en matière d’intégration de l’Intelligence Artificielle dans le domaine de la santé, des interrogations existent quant à l’utilisation judicieuse des données personnelles médicales. Pour le Docteur Chadrac Andémi, «l’Afrique en général, le Bénin en particulier gagnera à miser sur des systèmes d’Intelligences Artificielles qui vont nous aider à révolutionner les soins de santé et à prévenir les maladies dans un contexte où les ressources sont limitées en termes de moyens financiers et de personnels qualifiés pour prendre en charge la population».

Des interrogations pertinentes …

«Je n’ai rien contre l’intégration des systèmes d’Intelligence Artificielle dans le domaine de la santé, mais qu’en est-il des données que ces dispositifs absorbent ? Quelles sont les garanties et les recours dont dispose le citoyen lambda en cas de mauvaise utilisation de ses données ? s’interrogent Louis C., un étudiant en informatique rencontrer à la sortie d’un cours à Cotonou. Ce questionnement empreint d’appréhensions est celui de beaucoup d’autres citoyens qui, à l’évocation de l’Intelligence Artificielle, sont réticents. Parler d’Intelligence Artificielle fait appel à un type de denrée appelée la data ou donnée. L’IA a besoin d’emmagasiner une quantité énorme d’informations pouvant lui permettre d’être le plus précis possible dans sa prise de décision». Des inquiétudes légitimes puisque selon Docteur Wenceslas Mahoussi, «il y existe effectivement des appréhensions notamment dans le domaine du secteur sanitaire et plus largement dans tous les secteurs en matière de l’utilisation des données à caractère personnel parce qu’en utilisant le numérique nous brassons beaucoup de données. Nos données privées, nos données personnelles sont en ce moment prises en compte». Le Docteur Chadrac Andémi soutient pour sa part qu’en dépit des réticences, l’IA peut contribuer à la performance du système d’information sanitaire que constitue tout le dispositif mis en place pour pouvoir connecter, analyser et traiter les données de santé afin de prendre des décisions vitales pour les patients. Grâce aux possibilités offertes par l’intelligence artificielle, les responsables politiques peuvent prendre connaissance des stratégies plus efficaces pour promouvoir les soins aussi bien curatifs que préventifs. Médecin de santé publique, Dr Isaac Atoko fait savoir que «L’IA permettra d’avoir plus de précisions dans le diagnostic». « Il est possible d’avoir une large information avec des détails sur les différents diagnostics. L’IA apporte ainsi plus de précisions dans le traitement et la prévention des maladies dont souffre les patients», ajoute-t-il. Quant aux inquiétudes sur les données à caractère personnel, il les partage entièrement puisque pour lui, «C’est évident que les craintes sont grandes en matière de préservation des données. Le médecin a besoin d’informations sur le physique de la personne, les résultats de l’examen puis sur l’affection. Pour ce dernier, il faut des détails pour mieux évaluer et traiter la maladie».

Ethique et responsabilité de l’IA en question

Les enjeux éthiques de l’IA concernent une multitude de concepts différents. Tantôt, il est question de la discrimination, tantôt, de l’avenir de l’humanité face à des robots plus intelligents que les humains. En la matière, la recommandation de l’UNESCO est le premier cadre normatif universel pour l’éthique de l’intelligence artificielle. Elle est fondée sur la promotion et la protection des droits humains, de la dignité humaine et de la durabilité environnementale. Elle fait progresser des principes tels que l’éthique, l’Etat de droit, et comprend des chapitres politiques concrets qui appellent à une meilleure gouvernance des données, à l’inclusivité et à l’égalité genre. Docteur Wenceslas Mahoussi explique que la loi sur la protection des données personnelles a été renforcée par le livre cinquième de la loi 2018 du 20 avril 2018 portant code du numérique du Bénin. Pour Georgie Ton, juriste au service conformité de l’Autorité de Protection des Données à Caractère Personnel, : «il existe une collecte massive de données pour la mise en place des systèmes d’IA. Pour cela, l’institution de régulation dont elle fait partie, fait obligation à toute structure qui voudrait collecter des données de s’aligner sur les règles en vigueur afin de garantir aux citoyens, une sécurisation de leur information». Dans leur thèse de doctorat intitulée : ‘’L’intelligence artificielle en médecine : Attentes et inquiétudes de la population générale’’, publié en Novembre 2021, Rémi CALMON et Ravin IBRAHIM KACEM affirment : «La donnée personnelle de santé est la matière première de la recherche médicale et du développement de l’IA… Et, pour que la population adhère à la collecte des données, nous devons repasser par la case confiance et acceptabilité de la technologie. La protection de la vie privée apparaît aujourd’hui comme la condition sine qua non pour s’assurer de la confiance des usagers». C’est donc à juste titre que la stratégie numérique mondiale de l’OMS 2020-2025 met l’accent sur le fait que les données sanitaires doivent être classées comme des données personnelles sensibles, ou des informations permettant d’identifier une personne, lesquelles imposent une norme de sécurité élevée. Par conséquent, elle souligne la nécessité de disposer d’une base juridique et réglementaire solide afin de protéger la vie privée, la confidentialité, l’intégrité et la disponibilité des données ainsi que le traitement des données sanitaires personnelles, et de gérer les questions de cybersécurité. Il est important de maintenir la transparence et de communiquer efficacement sur les stratégies relatives à la sécurité des données.

C’est dans ce cadre que le Bénin a doté son arsenal juridique de la loi 2009-09, portant protection des données à caractère personnel. Une loi qui impose les conditions et le traitement relatifs aux données à caractère personnel. C’est dire donc que les moyens de protections sont disponibles et n’entravent guère l’intégration des technologies médicales émergentes dans le système sanitaire béninois. Docteur en droit et enseignant-chercheur pour sa part, Julien Hounkpè rappelle qu’il est important que le citoyen Béninois soit conscient que nous ne sommes pas au Bénin dans un No man’s land en matière de textes pouvant réglementer ces technologies émergentes. Il indique par ailleurs que ces textes méritent d’être actualisés afin de situer chacun dans la chaîne de responsabilités.

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