Impacts du changement climatique sur l’accès à l’eau : Un phénomène qui accroit la vulnérabilité des populations de Karimama

Impacts du changement climatique sur l’accès à l’eau : Un phénomène qui accroit la vulnérabilité des populations de Karimama

juin 13, 2022 0 Par Dorice Djeton

Les conséquences du changement climatique sont vécues différemment d’un peuple à un autre du fait de leur capacité d’adaptation et en fonction des activités prédominantes.  A Karimama, dans le département de l’Alibori, les revers des crises hydriques n’épargnent aucun secteur. Entre la réfaction de la pluie et l’assèchement progressif des cours d’eau, agriculteurs, et éleveurs souffrent le martyre. Et le quotidien des femmes, tenues d’approvisionner  les ménages en eaux de consommation laissent à désirer. Immersion dans le quotidien des victimes climatiques de l’une  des communes  les plus enclavées du Bénin.

Dorice DJETON GOUDOU

Karimama au Nord-Est du Bénin. Nous sommes à l’embarcadère au bord du fleuve Niger. Ce 1er juin, tout semble tourner au ralenti. Les pirogues et autres barques immobilisées. Il est 13h04mn mais le soleil de plomb qui darde ses rayons ne dissuade guère les riverains qui s’affairent. Quelques femmes lavent le linge pendant que  d’autres les sèchent. Et les enfants sont heureux de patauger dans l’eau. Nafisath, la trentaine, mère de 4 enfants, est avec l’une de ses belles sœurs pour laver le linge de la famille. « Quand on y vient, c’est pour toute la journée. Nous habitons à plus de 5 kilomètres d’ici. N’ayant ni puits ni forages à proximité, nous y venons une fois par quinzaine pour laver les habits de nos époux, parents et enfants. Puis en rentrant le soir, nous prenons l’eau que nous filtrons à la maison pour les besoins de consommation», confie la jeune femme. « Il est presque impossible de faire la lessive à la maison. Il faudra d’abord venir chercher l’eau en quantité suffisante avant de se mettre à la tâche. Cela peut nous prendre deux jours. C’est épuisant. Il est donc préférable de venir à la source afin de gagner en temps et en énergie », renchérit la belle-sœur. Le récit de ses deux jeunes femmes montre à suffisance leur quotidien en matière d’accès à l’eau.  Non loin de ces dames,  un autre tableau. Aliou, la vingtaine, torse nu,  s’approvisionne en eau pour les usages de sa maisonnée. Il remplit deux tonneaux avant de reprendre le chemin du retour.  Plus tôt, il avait aidé ses bœufs à se désaltérer et en a profité pour se baigner. Il se confie : « L’eau est une denrée rare par ces temps-ci. Vous pouvez le constater vous-même en observant ce qui se passe. Même en période de semi-sécheresse, l’approvisionnement en eau potable demeure un parcours de combattant à Karimama. Et seuls, quelques privilégiés vous diront le contraire ».

Ce témoignage corrobore les propos du responsable de la gestion de l’embarcadère, monsieur Moulissa G. Ce septuagénaire a vécu bien de saisons et est en mesure de nous narrer des récits aussi bien atypiques qu’anecdotiques. Avec un sentiment mêlé de nostalgie et de mélancolie, il égrène  ces années de crue et de sécheresse qui ont rendu éleveurs, agriculteurs, pêcheurs, commerçants, vieux et jeunes, hommes et femmes résilients. « Oh ! Que le temps passe. Mais notre réalité est demeurée la même. Nous avons fini par nous résigner face aux saisons», a-t-il-laissé entendre.  A l’analyse de la situation, Clément Kotan, Directeur Général de l’Unité de Protection de l’Environnement (UPE) reconnait que Karimama subit les effets pervers du changement climatique. Une triste réalité due à  la modification des saisons hydrologiques, l’asséchement des cours et plan d’eau, la variation des dates de démarrage, de fin et de longueur des saisons et diminution de la quantité d’eau précipité, et qui constituent les éléments qui caractérisent les effets des changements climatiques sur l’eau.

Le Rapport de l’Organisation Météorologique sur l’Etat Mondial du climat en 2021, publié le 18 mai 2022, confirme d’ailleurs que les 7 dernières années ont été les plus chaudes jamais enregistrées. Une alerte qui laisse entrevoit le calvaire des populations de Karimama déjà en situation de vulnérabilité.

le jeune Aliou, s’approvisionne en eau

Quand la vulnérabilité des femmes  s’accroit…

Sous l’effet combiné de la raréfaction de l’eau et de la menace terroriste au Nord du Bénin, les femmes sont doublement affectées à Karimama. Elles vivent le calvaire par ce temps d’aridité. La petite Yésidath, 10 ans à peine,  a parcouru plus d’un kilomètre, pour aller chercher de l’eau du puits pour la cuisine. Elle a préféré pour des raisons d’hygiène ne pas s’approvisionner au bord du fleuve. « A l’école, on nous a appris à faire attention à l’eau que nous consommons pour ne pas attraper des maladies. L’eau du fleuve n’est pas consommable. Les riverains s’y baignent, font la lessive et que sais-je encore… », Justifie-t-elle. Il en ressort que la vulnérabilité des filles et des femmes s’accroissent et les inégalités persistent lorsqu’elles n’ont pas accès de façon aisée à certaines ressources indispensables pour subvenir à leurs besoins. Une évidence que CARE met en exergue dans le résumé du Rapport Evicted by Climate Change, publié en juillet 2022. L’institution souligne que les impacts du changement climatique diffèrent en fonction du sexe des individus : « Les femmes et les filles sont plus vulnérables… car, dans les pays pauvres, elles assurent la plus grande partie de l’agriculture de subsistance et de l’approvisionnement de leur foyer en nourriture, eau et combustible de plus en plus rares à cause du changement climatique ».

La petite Yésidath du retour du puits

Le bétail à la recherche d’eau et d’herbe

De l’eau et de l’herbe : deux éléments indispensables à la survie du bétail et qui se font rare à en période d’aridité. Dans notre randonnée à Karimama, nous avons fait la connaissance de Youssif, bouvier, menant le troupeau de son père et de ses oncles au pâturage. Las, après plusieurs kilomètres de promenades, il laisse les animaux à leur propre sort. Ces derniers, habitués à la débrouillardise, vont çà et là pour brouter, voire se contenter de quelques herbes tant les champs sont vides et les feuilles desséchées. Il se décide à laisser échapper quelque mots afin qu’on ne perturbe pas longtemps sa pause: « C’est toujours ainsi à Karimama. La pluie ne tombe jamais à temps. Rien n’est facile. Ni pour les hommes encore moins pour les animaux ». Agroclimatologue, Dr Awo Sourou Malikiyou, explique qu’en matière de changement climatique, l’eau constitue le premier secteur de vulnérabilité puisqu’elle est au cœur de tout. Elle est source de vie. Et quand la chaleur s’intensifie, les eaux s’assèchent mettant à mal les activités des hommes et la survie des animaux.

Dosso Ali Amadou, Chef  Village de Mamassy-Peulh, rencontré dans le plus grand camp peuhl du Bénin, évoque le désarroi des éleveurs quand les précipitations se font rares et que le fleuve Niger commence à s’assécher: « C’est un drame parce qu’il faut que les hommes trouve l’eau en quantité suffisance avant de penser aux animaux. Nous sommes les plus défavorisés quelques soient les péripéties». Une situation qui exacerbe parfois les conflits entre éleveurs et agriculteurs créant des crises communautaires, terreaux fertiles à la menace terroriste.  C’est donc à juste titre que Margareta Wahlstrom, Secrétaire Générale Adjointe aux affaires humanitaires  aux Nations-Unies, dans une chronique intitulée : Avant qu’’une autre catastrophe ne surviennent : l’impact humanitaire du changement climatique, publié sur le site UN.ORG, rappelle que  « la diminution des ressources de base, notamment l’eau, pourrait exacerber les tensions entre les groupes ethniques, les pays et les régions, intensifiant  la compétition pour exploiter d’autres environnements et d’autres ressources ».

Photo : un troupeau livré à la débrouillardise

Les agriculteurs aussi dans l’attente…

Des champs, à perte de vue déjà débroussaillés, attendant les gouttes de pluie, nous en avons sillonné à Karimama. Les producteurs s’impatientent. Impuissants, ils tournent et retournent le pouce à longueur de journée guettant le moindre signe, le moindre nuage qui se profile. Mais les signes annonciateurs ne durent jamais et l’attente devient longue. « Les graines à mettre en terre et les pépinières sont disponibles. Tout est fin prêt pour qu’on emblave nos terres.  Vivement la pluie », Lâche un producteur de riz, visiblement agacé par cette attente interminable. Le Dr Koudérin Lucie, agroclimatologue et spécialiste en sécurité alimentaire souligne de ce fait que les différentes transformations liées au climat observées au fil des ans ont de graves conséquences sur le secteur agricole. Ces changements se traduisent par une augmentation de la température, une instabilité des précipitations, occasionnant inondations, sécheresse d’une région à une autre. L’eau étant important pour l’agriculture, son abondance ou son insuffisance met en difficulté les productions. Il est ainsi constaté, les mauvaises récoltes, la faiblesse  des rendements causé par l’insuffisance ou l’absence des précipitations adéquates et de températures appropriées. « La raréfaction et l’entrave à l’accès à l’eau douce est un effet direct sur l’eau qui était déjà inégalement répartie. Elle devient alors insuffisante voir indisponible pendant certaines période dans certaines zones ». Cette situation est justement observée au bénin, notamment l’augmentation de la température, ce qui affecte les rendements agricoles », précise l’experte. 

Des champs de mil déblayés en attendant la pluie

Rendre Karimama Résiliente…

La gestion durable des terres s’impose à Karimama. Et l’irrigation en saison sèche est la seule porte de sortie pour les agriculteurs qui doivent désormais envisager l’agriculture intermédiaire. « La création  des retenues d’eaux  pour la saison semi-sèche doit être une réalité afin d’alléger les peines des populations surtout des éleveurs et producteurs qui ont besoin de point d’eau », recommande Clément Kotan, Directeur Général de l’Unité de Protection de l’Environnement (UPE). Des propositions appuyées par le Dr Koudérin Lucie, spécialiste en Sécurité Alimentaire qui estime pour sa part qu’il faille aider  les producteurs à développer des stratégies adéquates à travers le changement des calendriers agricoles tenant  compte de la variation des précipitations et le développement des pratiques agricoles de contre saison.  Même si certains producteurs sont déjà dans cette perspective et s’organisent progressivement, il leur faut plus de moyens et des mesures d’accompagnement pour l’étendre à leurs pairs.  Dr Hermann A. PLAGBETO, Environnementaliste, Spécialiste en Systèmes d’Information Géographiques (SIG), Télédétection et Cartographie appliqué à la gestion de l’environnement souligne également l’urgence d’agir. « Quand on parle de changement climatique, c’est tout un équilibre qui est perturbé et ce sont des phénomènes qui concernent la planète entière». Il préconise des projets d’aménagement forestières pour soulager un tant soit peu cette communauté qui subit de plein fouet les affres des crises climatiques. Une profonde réflexion sur les portes de sortie durable doit être menée aussi bien par les autorités locales qu’étatiques en lien avec des Partenaires Techniques et Financiers au regard du potentiel touristique que représente Karimama qui abrite le Parc W.

l’hôtel de ville de Karimama
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