Elizabeth II, l’immense icône du service désintéressé pour le continent africain et l’humanité

Elizabeth II, l’immense icône du service désintéressé pour le continent africain et l’humanité

septembre 11, 2022 0 Par Le pouce avec Afp

Elizabeth II a entretenu des attaches particulières avec les anciennes colonies britanniques et les membres du Commonwealth en Afrique. De son début de règne au Kenya à ses rencontres marquantes avec Kwame Nkrumah et Nelson Mandela, retour sur l’histoire de la reine avec le continent africain.

Elizabeth II s’est rendue 21 fois en Afrique. Selon le site de la famille royale, la reine a visité pratiquement tous les pays du Commonwealth. Mais certains voyages ont davantage marqué son règne long de 70 ans que d’autres. Le premier fut particulièrement important dans son parcours.

Le 6 février 1952, la princesse Elizabeth et son époux Philip, déjà parents de Charles, né en 1948, et d’Anne, née en 1950, se trouvent au cœur du massif des Aberdares, au centre du Kenya. Ils s’offrent une nuit unique dans un pavillon d’observation de la vie sauvage, Treetops, situé à 7 000 kilomètres de l’Angleterre.

Dans la matinée, la nouvelle tombe : George VI, sur le trône du Royaume-Uni depuis 15 ans, vient de s’éteindre à l’âge de 56 ans. Avec la mort du monarque, la couronne passe à sa fille aînée, alors dans un pays lointain et pas encore membre du Commonwealth – le Kenya ne sera admis qu’en 1963. Elizabeth II n’apprendra la disparition de son père qu’après son départ de Treetops, mais c’est bien là-bas, dans cet hôtel, qu’elle entame son règne.

« Je suis tout à fait certain que c’est l’une des expériences les plus merveilleuses que la reine ou le duc d’Édimbourg aient jamais vécues », peut-on lire dans une lettre rédigée par un assistant du couple royal, chargé de remercier les propriétaires de l’hôtel. Ce courrier, daté du 8 février 1952, a été encadré à Treetops. L’endroit brûla en 1954. Un nouvel établissement, beaucoup plus grand, a été construit depuis.

Elizabeth II revient brièvement au Kenya en mars 1972. En novembre 1983, elle et son époux restent quatre jours dans le pays et reviennent à Treetops, l’endroit où elle se trouvait au moment de devenir reine. Cette fois, ils portent des tenues plus formelles. La reine pose le pied au Kenya une dernière fois en octobre 1991.

Ce vendredi 9 septembre, le président sortant du Kenya, Uhuru Kenyatta – fils de Jomo Kenyatta, ancien président qui accueillit la reine en 1972 – lui a rendu hommage : « Sa Majesté la reine Elizabeth II était une immense icône du service désintéressé pour l’humanité et une figure de proue essentielle non seulement du Royaume-Uni et du Commonwealth, dont le Kenya est un membre éminent, mais aussi du monde entier. »

Le nouveau président élu du Kenya, William Ruto, a également rendu hommage à la reine jeudi, saluant son leadership « admirable » au sein du Commonwealth. « Que son souvenir continue de nous inspirer. Nous nous joignons au Commonwealth en deuil et présentons nos condoléances à la famille royale et au Royaume-Uni », a-t-il confié, décrivant le bloc comme un témoignage de « l’héritage historique » de la reine.

Au Ghana, une danse déterminante avec Kwame Nkrumah

Parmi ses tournées en Afrique, celle de fin 1961 fut parmi les plus essentielles, comme le rappelle Meriem Amellal Lalmas, journaliste à France 24. Du 9 au 20 novembre 1961, la reine décide de se rendre au Ghana, en dépit de l’opposition de la presse et de la classe politique britanniques, qui s’inquiètent d’un voyage dangereux et d’une dérive autoritaire du président ghanéen de l’époque, Kwame Nkrumah. Winston Churchill, mentor d’Elizabeth II, a lui-même appelé le Premier ministre d’alors, Harold Macmillan, à convaincre la reine de ne pas se rendre dans ce pays qui a déclaré son indépendance en 1957.

La souveraine refuse d’annuler cette visite. Elle se sait très attendue là-bas. Déjà, en 1959, Elizabeth II devait s’y rendre. Mais la venue au monde prochaine de son troisième enfant, Andrew, l’a contrainte à y renoncer. Kwame Nkrumah avait mal pris ce désistement. Pour apaiser les tensions, la famille royale l’avait invité à Balmoral, où le chef d’État avait passé quelques jours avec la reine. Plus tard, le prince Philip s’était rendu à son tour au Ghana et avait promis une visite prochaine de son épouse.

Des enjeux très importants dépendent de ce séjour. Kwame Nkrumah, marxiste, se rapproche alors du bloc soviétique et menace de claquer la porte du Commonwealth. À son arrivée, la reine d’Angleterre est très bien accueillie. Mais c’est surtout lors d’un bal organisé en son honneur qu’elle marque les esprits : devant les objectifs du monde entier, elle danse avec le président du Ghana.

« Cette image semble banale aujourd’hui. Mais dans le contexte, c’était extrêmement avant-gardiste. C’était une femme blanche qui dansait avec un homme noir, c’était la souveraine d’un empire qui dansait avec un sujet, tel qu’il était alors considéré, même s’il est aussi le père du panafricanisme et de l’indépendance ghanéenne« , explique Meriem Amellal Lalmas.

La visite de la reine n’empêchera pas Kwame Nkrumah de se rapprocher du bloc soviétique, mais elle évitera la rupture avec le Commonwealth. La reine rassure le président et l’aide à obtenir des financements. Conquis, Kwame Nkrumah déclare : « Le vent du changement qui souffle sur l’Afrique est devenu un ouragan. Quels que soient les effets de ce souffle sur l’Histoire, l’estime et l’affection personnelle que nous avons pour Votre Majesté resteront inchangées. »

Jeudi, l’actuel président du Ghana, Nana Akufo-Addo, a été le premier chef d’État à réagir à la disparition d’Elizabeth II. Sur Twitter, il a notamment écrit : « En tant que cheffe du Commonwealth, elle a supervisé la transformation spectaculaire de l’Union et l’a amenée à accorder une plus grande attention à nos valeurs et à une meilleure gouvernance. Elle était le roc qui a maintenu l’organisation solide et fidèle à ses convictions positives. Sa présence inspirante, son calme, sa stabilité et, par-dessus tout, son grand amour et sa croyance dans le but supérieur du Commonwealth des Nations et dans sa capacité à être une force pour le bien dans notre monde nous manqueront. »

Nelson Mandela, l’ami d’Afrique du Sud

Membre du Commonwealth dès sa fondation, l’Afrique du Sud a été un pays particulier dans l’histoire d’Elizabeth II. C’est là-bas qu’elle se rend à l’occasion de son premier voyage sur le continent africain, en 1947. Sur place, le 21 avril, jour de son 21e anniversaire, la future reine prononce, à la radio depuis Le Cap, un discours fondateur de son engagement.

Fidèle à sa coutume de neutralité, la reine ne s’exprimera pas sur l’apartheid jusqu’à la fin du régime raciste. Dans son ouvrage « La Grande-Bretagne et le monde » (éd. Armand Colin), l’historien Philippe Chassaigne explique qu’Elizabeth II ne voulait pas se rendre à nouveau en Afrique du Sud « parce que ça aurait été cautionner la politique d’apartheid qui s’était mise en place ». Tout juste apporte-t-elle, au début des années 1980, un soutien discret à Brian Mulroney, le Premier ministre canadien, qui milite pour des sanctions économiques contre l’Afrique du Sud. Margaret Thatcher, alors Première ministre britannique, y est de son côté opposée.

Les relations fraîches ou compliquées entre Elizabeth II et Margaret Thatcher s’incarnent d’ailleurs autour de l’approche du Royaume-Uni vis-à-vis de Nelson Mandela : alors que la « Dame de Fer » considère le Congrès national africain (ANC), le parti de Madiba, d' »organisation terroriste », la reine tend la main à celui qui a passé 27 années en prison. Peu après sa libération, en 1990, elle accueille Nelson Mandela au Royaume-Uni. Cinq ans plus tard, elle se rend elle-même en Afrique du Sud, où le leader de l’ANC vient d’être élu premier président de la République.

Auparavant, dès 1991, Elizabeth II a cassé le protocole en invitant Nelson Mandela au sommet du Commonwealth à Harare, au Zimbabwe. Celui-ci n’a pourtant pas le rang requis pour assister au banquet de la reine. Mais qu’importe pour elle, qui a conscience de la portée symbolique de cette invitation. Elizabeth II est déjà sortie de sa réserve en se disant satisfaite de voir l’apartheid « en train de mourir ».

Réagissant à la mort de la reine, la Fondation Mandela a publié vendredi un communiqué évoquant la relation très amicale qu’entretenaient ces deux figures majeures du XXe siècle : « Ils se parlaient fréquemment au téléphone, s’appelant par leurs prénoms respectifs en signe de respect mutuel et d’affection. (…) Dans les années qui ont suivi sa libération, Nelson Mandela a cultivé un lien proche avec la reine », qu’il avait affublée du surnom de « Motlalepula » (« venue avec la pluie »), après la visite de 1995 qui fut marquée par des pluies torrentielles.

Des relations compliquées avec le Zimbabwe de Robert Mugabe

Unique pays d’Afrique à avoir quitté le Commonwealth, le Zimbabwe a été un partenaire compliqué et encombrant pour la reine Elizabeth II. En 2002, l’organisation décide en effet de suspendre le pays de son Conseil, en sanction à la présidentielle organisée cette année-là. Élu en 1990 et réélu en 1996, le président Robert Mugabe l’a emporté face à Morgan Tsvangirai avec 56,20 % des voix lors d’un scrutin marqué par les violences et les fraudes.

Un an plus tard, le Zimbabwe décide de claquer la porte du Commonwealth, irrité d’apprendre que l’organisation veut maintenir sa suspension. Robert Mugabe en profite pour qualifier le Commonwealth d’organisation dirigée par des « Blancs racistes ». En 2008, sa nouvelle réélection, avec 90,22 % des suffrages, est une fois de plus dénoncée par nombre de démocraties dans le monde.

En juin 2008, le divorce entre Londres et Robert Mugabe s’accentue un peu plus : David Miliband, le ministre des Affaires étrangères, propose de retirer au président zimbabwéen son titre de chevalier honoraire qui lui a été décerné en 1994. Elizabeth II approuva cette annulation. « Cette décision a été prise comme un signe de révulsion face aux violations des droits de l’Homme et au mépris abject du processus démocratique au Zimbabwe sous le régime du président Mugabe », indique le ministère des Affaires étrangères.

Avec AFP

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