Cyberviolences à l’égard des femmes au Bénin : Bris de silence, actions d’impact et résilience à la clé

Cyberviolences à l’égard des femmes au Bénin : Bris de silence, actions d’impact et résilience à la clé

août 8, 2024 0 Par Dorice Djeton

Qualifiée de violence due aux technologies, la violence en ligne n’est que la ramification des violences traditionnelles que vivent les femmes. Elles sont parfois plus pesantes et pénibles à surmonter au regard du caractère digital et de la difficulté à appréhender les auteurs. Au Bénin, nombreuses sont les femmes notamment des féministes qui subissent cette forme moderne de violence dont les manifestations sont multiples et multiformes laissant des souvenirs traumatisants aux victimes. Si autrefois, un tabou entoure la dénonciation des VBG, de plus en plus.

 

Dorice DJETON

Louise G., la vingtaine. Etudiante en troisième année de Marketing et communication. Active et très engagée sur les questions des droits de femmes, elle découvre un matin que son compte Facebook a été piraté et que des individus non identifiés y ont pris le contrôle afin de salir sa réputation. Une usurpation d’identité qui tourne très rapidement au cauchemar. «Je n’ai jamais su qui était derrière cette machination. L’enfer a duré 6 semaines et j’ai décidé de quitter les réseaux sociaux». Ce témoignage peut être celui de nombreuses étudiantes ou de jeunes femmes qui finissent par fuir les plateformes d’interactions sociales et s’isoler complètement. Et pourtant au Bénin, il existe une structure qui a en charge le règlement de ces violences en ligne. Mieux de plus en plus des voix s’élèvent pour dénoncer mais aussi pour amener la justice à jouer sa partition afin d’envoyer un signal fort aux auteurs.

 

Un cas d’école…

«106 fausses pages sur près de neuf mois d’acharnement, suivie d’une tentative d’extorsion de fond.  Un cauchemar. Mais nous avons eu une peine d’emprisonnement de cinq ans pour l’auteur et un franc symbolique pour la réparation du préjudice. C’est un signal fort. Que la peur a changé de camp et que désormais les filles et les femmes en ligne ne doivent plus se taire. Elles doivent dénoncer les cas de cyberintimidation parce que la justice est de notre côté». Ce témoignage de Bénédicta Alowakinnou, présidente de la Fondation JAD, organisation féministe au Bénin, est une lueur d’espoir pour la communauté féminine en ligne qui fait face fréquemment à de la violence. En effet, les technologies sont de plus en plus utilisées pour perpétrer des violences à l’encontre des femmes. Dénommées cyberviolences, ces formes de violences recouvrent des réalités et des phénomènes variés : photos publiées sans autorisation ou modifiées, diffusion d’images à caractère pornographique, usurpation d’identité, violation de l’identité, menaces ou diffamation. «La violence en ligne en général est si souvent dirigée envers les femmes parce qu’il y a une facilité à les vilipender sous forme d’humour, de conseils, de parodie», explique Christelle Mèdaho, juriste et féministe.

 

Quid des données à caractère personnel…

Les technologies font apparaitre des inquiétudes légitimes quant aux données utilisées en ligne. Selon Wenceslas Mahoussi, enseignant chercheur à l’Université d’Abomey-Calavi et spécialiste des pratiques info-numériques, «Il existe effectivement des appréhensions en matière de l’utilisation des données à caractère personnel parce qu’en utilisant le numérique nous brassons beaucoup de données privées qui peuvent tomber dans des mains indésirables». C’est dans ce cadre que le Bénin a doté son arsenal juridique de la loi 2009-09, portant protection des données à caractère personnel. Une loi qui impose les conditions et le traitement relatifs aux données à caractère personnel. C’est dire que nulle ne peut utiliser les données d’une personne sans son consentement. Mieux, la loi sur la protection des données personnelles a été renforcée par le livre cinquième de la loi 2018 du 20 avril 2018 portant code du numérique du Bénin.

 

Un arsenal répressif et non réparateur pour les victimes

Qu’elles soient en ligne ou physique, plusieurs textes répriment les violences faites à son semblable de façon générale et celles basées sur le genre de spécifiquement. Fréjus Affanglo, juriste et spécialiste des droits humains en évoque 3 essentiellement  que sont : la Loi n° 2017-20 du 20 Avril 2018 portant code du numérique en République du Bénin, la Loi N° 2020-23 du 29 septembre modifiant et complétant la loi n° 2012-15 du 18 mars 2013, modifiée, portant code de procédure pénale en République du Bénin sans oublier la plus récente qu’est la Loi N°2021-11 du 20 décembre 2021 portant dispositions spéciales de répression des infractions commises à raison du sexe des personnes et de protection de la femme en République du Bénin.  Pour rappel, le Bénin dispose d’un centre d’Investigation Numérique avec une direction qui lutte contre la cybercriminalité et toutes les infractions connexes. Si cette structure est très impliquée dans la traque des cybercriminels, les citoyens s’attendent à ce qu’elle s’investit autant dans la lutte contre les cyberviolences.  Au Bénin, la Loi n° 2017-20 du 20 Avril 2018 portant code du numérique en République du Bénin dans son article 550, alinéa 1er réprime le cyberharcèlement d’une peine d’emprisonnement d’un (1) mois à deux (2) ans et d’une amende de 500.000 francs à 10.000.000 de francs CFA ou de l’une de ces deux peines. Mais la procédure judiciaire peut être très lente et épuisante surtout si la technicité n’y est pas. De plus, cette procédure judiciaire n’est pas seulement réparatrice mais plutôt répressive. «On se charge beaucoup plus de punir l’auteur mais on ne s’intéresse pas à la guérison, au sort des victimes», déplore la présidente de la FJAD. « Pendant qu’on cherchait l’auteur, personne ne s’occupait de savoir qu’on vit l’association. Quel est l’appui psychologique qu’on peut offrir, quelle est la prise en charge que la justice pouvait offrir au-delà d’arrêter l’auteur », se désole-t-elle. Il est donc nécessaire de progresser vers un arsenal juridique aussi répressif que réparateur.

 

La nécessité d’une communauté forte et mobilisée

Hélena Capo Tchichi, Présidente de l’association Femme, Nutrition et Développement et experte en stratégies de lutte contre les Violences Basées sur le Genre, reste optimiste en ce qui concerne la marche vers une société inclusive et égalitaire. Selon cette défenseure de la gent féminine, les femmes se montrent de plus en plus résilientes face aux violences qu’elles subissent. Mieux, elles prennent des initiatives porteuses d’espoir pour d’autres victimes.  Pour preuve,

Jeune femme béninoise, biographe Wikipédia et militante, Majoie Houndji a été l’une des victimes de cyberharcèlement en 2017. Dès lors, elle a fait de la lutte contre le cyberharcèlement, un combat quotidien. Et Depuis, des voix s’élèvent pour dénoncer ce qui autrefois n’était pas possible. Mieux, les victimes comprennent le bien-fondé de la solidarité et surtout de la sororité.

« La meilleure des choses à faire, c’est de ne jamais penser que vous êtes assez forte et puissante pour faire face à une violence toute seule. Ce n’est pas vrai, ce n’est pas possible. Il faut toujours avoir des personnes qui constituent votre système de soutien », préconise Christelle Mèdaho. D’où la nécessité de disposer d’une communauté qui sert de rempart. Ce qui est largement partagé par des personnes approchées ayant subi de la cyberintimidation.  « Face à la violence en ligne, il faut se mobiliser parce que les antis droits se mobilisent fortement en ligne. Il faut aujourd’hui que nous ayons aussi notre communauté forte en ligne et qui arrive vraiment à nous soutenir », recommande la féministe Bénédicta Alowakinnou. Une autre approche, c’est de pouvoir réguler les commentaires sexistes en ligne et cela relève de la responsabilité des plateformes et des médias sociaux en ligne de pouvoir assurer un espace en ligne sain pour toutes les femmes et pour toutes les filles, de pouvoir mettre les modérations qu’il faut pour détecter très rapidement les récits sexistes en ligne et les bannir avant même leur publication.

 

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