Comment lutter contre les « fake news » ?

Comment lutter contre les « fake news » ?

août 12, 2021 0 Par Le pouce

Les réseaux sociaux ont accéléré la diffusion des infox ou « fake news ». En France, une loi « anti-fake news » a été adoptée.Les réseaux sociaux influencent particulièrement la diffusion de fausses informations visant à influencer les électeurs ont été dénoncées lors de récentes élections aux États-Unis ou au Royaume-Uni.

Plus de 50% des Américains déclarent ne s’informer que par Facebook et Twitter. Pour beaucoup, les réseaux sociaux deviennent la principale source d’information. Par leurs canaux, des campagnes de diffusion de fausses informations destinées à influencer les comportements des électeurs ont été dénoncées lors de l’élection présidentielle de 2016 aux États-Unis ou du référendum sur le Brexit au Royaume-Uni la même année. En France, selon le baromètre des médias 2017, 83% des utilisateurs des médias sociaux sont soumis à une forte exposition aux rumeurs et un tiers des personnes interrogées pensent que certaines fake news sont vraies.

Depuis 2017, des réactions européennes contre la diffusion d’infox

Au niveau européen, en avril 2018, la Commission européenne publie une communication sur la désinformation en ligne en s’appuyant sur un rapport d’experts publié en mars 2018 (nouvelle fenêtre)ainsi que sur les résultats d’une consultation publique lancée en novembre 2017. Sans exclure la possibilité d’une réglementation, la Commission recommande, dans un premier temps, l’élaboration à l’échelle de l’Union d’un code de bonnes pratiques contre la désinformation et le soutien à un réseau indépendant de vérificateurs de faits. Elle propose d’user de nouvelles technologies, dont l’intelligence artificielle ou la blockchain, pour améliorer la capacité de tout citoyen à accéder à des informations correctes ainsi qu’à une diversité de points de vue.

En Allemagne, une loi de janvier 2018 a pour objectif de contraindre les réseaux sociaux à une modération réactive. Au Royaume-Uni, le Parlement met en place une commission d’enquête début 2017 pour lutter contre la diffusion des fausses nouvelles et informations en impliquant notamment les géants du Net, et en traquant les fake news jusque sur la BBC. En Italie, les autorités créent une plateforme de signalement des fausses nouvelles.

En France, lors de la conférence de presse du 29 mai 2017 clôturant la visite de Vladimir Poutine, le président de la République Emmanuel Macron reproche à la chaîne de télévision Russia Today France et à la radio Sputnik (deux médias appartenant à l’État russe) d’avoir propagé de fausses nouvelles pendant la campagne présidentielle (« Quand des organes de presse répandent des contrevérités infamantes, ce ne sont plus des journalistes, ce sont des organes d’influence. Russia Today et Sputnik ont été des organes d’influence durant cette campagne, qui ont, à plusieurs reprises, produit des contrevérités sur ma personne et ma campagne »). Dès janvier 2018, Emmanuel Macron annonce sa volonté « de faire évoluer notre dispositif juridique pour protéger la vie démocratique de ces fausses nouvelles ».

Liberté de la presse, diffamation, protection de la vie privée : le droit français avant la loi fake news

De nombreux textes existent en droit français pour réprimer les diffuseurs de fausses nouvelles dans l’intention de nuire et également fixer des règles aux plateformes numériques.

L’article 27 de la loi sur la liberté de la presse du 29 juillet 1881 punit la propagation de fausses nouvelles lorsqu’elles sont susceptibles de troubler la « paix publique ».

Le code pénal sanctionne d’une peine d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende le fait de porter volontairement atteinte à l’intimité de la vie privée d’autrui au moyen d’un procédé quelconque. Il punit d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende le fait de publier, par quelque voie que ce soit, le montage réalisé avec les paroles ou l’image d’une personne sans son consentement, s’il n’apparaît pas à l’évidence qu’il s’agit d’un montage ou s’il n’en est pas expressément fait mention.

Au-delà de ces textes spécifiques, des incriminations générales peuvent être utilisées : notamment, l’infraction de diffamation, définie par la loi sur la liberté de la presse (« Toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé »).

Si la falsification porte sur un aspect de la vie privée, la victime peut saisir le juge des référés, sur le fondement des dispositions de l’article 9 du code civil selon lequel « chacun a le droit au respect de sa vie privée » (protection contre toute atteinte portée au droit au nom, à l’image, à la voix, à l’intimité, à l’honneur et à la réputation, à l’oubli, à sa propre biographie).

Par ailleurs depuis le vote de la loi pour la confiance dans l’économie numérique (LCEN) de 2004(nouvelle fenêtre), les plateformes, en leur qualité d’hébergeurs, ont l’obligation de détenir et conserver les données permettant l’identification des personnes qui utilisent leurs services. La loi instaure une procédure de référé (« référé LCEN ») qui permet à l’autorité judiciaire de faire cesser un dommage occasionné par le contenu d’un service de communication au public en ligne en bloquant l’accès à un contenu en ligne ou en le supprimant.

Une nouvelle loi pour lutter contre la manipulation de l’information

Selon l’exposé des motifs de la proposition de loi déposée à l’Assemblée nationale(nouvelle fenêtre), « si les responsabilités civiles et pénales des auteurs de ces fausses informations peuvent être recherchées sur le fondement des lois existantes, celles-ci sont toutefois insuffisantes pour permettre le retrait rapide des contenus en ligne afin d’éviter leur propagation ou leur réapparition ». De même, dans un avis publié en avril 2018, le Conseil d’État admet que l’état actuel du droit, notamment en matière électorale, ne permet pas nécessairement de répondre à l’intégralité des risques induits par ces nouveaux phénomènes.

Le texte définit une fausse information : « Toute allégation ou imputation d’un fait dépourvu d’éléments vérifiables de nature à la rendre vraisemblable ». Cette définition écarte ainsi les fausses informations diffusées à des fins humoristiques, satiriques ou par erreur.

La loi du 22 décembre 2018 sur la manipulation de l’information crée un nouveau référé, pendant les trois mois précédant une élection, pour faire cesser la diffusion « d’allégations ou imputations inexactes ou trompeuses d’un fait de nature à altérer la sincérité du scrutin à venir […] diffusées de manière délibérée, artificielle ou automatisée et massive par le biais d’un service de communication au public en ligne ».

Dans sa décision du 20 décembre 2018, le Conseil constitutionnel a émis une réserve d’interprétation sur la notion de fausse information(nouvelle fenêtre). Celle-ci ne peut s’appliquer qu’à « des allégations ou imputations inexactes ou trompeuses d’un fait de nature à altérer la sincérité du scrutin à venir. Ces allégations ne recouvrent ni les opinions, ni les parodies, ni les inexactitudes partielles ou les simples exagérations. Elles sont celles dont il est possible de démontrer la fausseté de manière objective. […] Seule la diffusion de telles allégations ou imputations répondant à trois conditions cumulatives peut être mise en cause : elle doit être artificielle ou automatisée, massive et délibérée ».

Il s’agit de lutter contre les contenus sponsorisés et les systèmes robotisés, les « fermes à clics », qui véhiculent ces fausses informations et qui le feraient sciemment, en sachant que l’information est fausse. Un candidat, un parti ou groupement politique peuvent saisir le juge des référés pour faire cesser la diffusion de ces « fausses informations » quand ils s’en estiment victimes. Le juge statue dans un délai de 48 heures.

Le texte propose également de renforcer les obligations de transparence financière imposées aux opérateurs de plateformes pour qu’ils rendent publique, au-delà d’un certain seuil, l’identité des annonceurs qui les ont rémunérés en contrepartie de la promotion de contenus d’information.

Il instaure un devoir de coopération des plateformes et l’obligation pour elles de mettre en place les mesures pour lutter contre les fausses informations (transparence des algorithmes, promotion des informations fiables, lutte contre les comptes propageant massivement de fausses informations) et de les rendre publiques.

De nouvelles compétences sont confiées au Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) qui devient le garant du devoir de coopération des plateformes. Doté d’un pouvoir de recommandation pour faciliter l’autorégulation des plateformes, il établit dans son rapport annuel le bilan des actions menées par les plateformes.

D’autres dispositions concernent le renforcement de l’éducation aux médias et à l’information pour permettre l’acquisition d’une véritable citoyenneté numérique dans le cadre notamment de l’enseignement moral et civique.

Le débat parlementaire sur la lutte contre les fausses informations et la liberté d’expression

Pour les élus de l’opposition, la loi serait synonyme de censure et de contrôle de l’information, voire d’une dérive autoritaire du pouvoir. Christian Jacob (député LR) craint une « police de la pensée », Marine Le Pen (FN) dénonce un texte « liberticide », Boris Vallaud (PS) une « loi de circonstances ».

Le juge des référés est le juge de l’évidence et ne doit faire usage de son pouvoir pour obtenir le retrait d’une information que s’il a la certitude qu’elle est manifestement fausse. Comment différencier, dans un délai 48 heures et sans aucun doute possible, ce qui relève d’un contenu erroné diffusé sans intention de nuire d’une fausse nouvelle propagée sciemment ? N’y a-t-il pas un risque de censure d’une information vérifiée ultérieurement, voire même un risque pour le secret des sources des journalistes ? À l’inverse, hormis pour des cas flagrants, n’y a-t-il pas un risque que le juge se déclare finalement incompétent ?

S’agissant des plateformes, elles ont déjà des devoirs de surveillance dans les domaines de la lutte contre les contenus racistes, négationnistes, pédopornographiques par exemple. Mais qu’en est-il de la traque des fausses informations qui suppose d’analyser des preuves ? Est-il possible de tabler sur le pouvoir d’autorégulation des plateformes ? En leur demandant « d’assécher » la fausse information à la source, n’y a-t-il pas un risque, au nom de la transparence, d’une censure de l’information qui dérange ? La même question se pose aussi pour le rôle du CSA qui selon, Jean-Luc Mélenchon (La France Insoumise), n’est pas légitime pour juger si un média étranger outrepasse son rôle.

Pour Divina Frau Meigs, chercheure en sciences de l’information et membre du groupe d’experts sur les fake news de l’Union européenne, la loi ne suffira pas à bloquer le phénomène. La solution durable et soutenable à la lutte contre la malinformation passe par l’éducation des jeunes et des moins jeunes à un usage responsable des médias de masse et des médias sociaux. L’éducation aux médias et à l’information (EMI), en transmettant la maîtrise des codes, des langages et des pratiques médiatiques et numériques, est le meilleur moyen pour apprendre à distinguer l’information de qualité et repérer les fake news.

La lutte contre les fausses informations et pour la qualité de l’information passe par des mesures propres à limiter l’influence des annonceurs, la concentration de la propriété des médias et à lutter contre la précarisation du statut des journalistes. C’est notamment le point de vue développé par le collectif Action-critique-médias (Acrimed). Selon ce collectif, l’erreur du texte est de rester focalisé sur les fausses informations sur internet, alors que la lutte « contre les pires dérives » et l’amélioration de la qualité de l’information devraient passer par la « construction d’un véritable service public de l’information et de la culture, la création d’un statut de média à but non lucratif, d’un statut juridique des rédactions, ou encore la garantie de l’indépendance des sociétés de rédacteurs ».

www.vie-publique.fr

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